Chapitre XI

La nuit était noire, car d’épais nuages voilaient la lune. Sur cet écran de ténèbres profondes, le sommet du Kalima, toujours couronné de sa gerbe étincelante, se détachait en clair, prolongé par les veines jaunes tout d’abord, puis rouges, puis pourpres et enfin tavelées, des coulées de magma en fusion.

Tapi dans l’ombre, Morane attendait que l’homme sorte de sa baraque. Il voulait savoir si ses suppositions, faites le matin même, allaient se révéler exactes. Depuis le moment où la troisième vallée avait été obstruée, Packart n’avait cessé de l’interroger sur ses découvertes, mais Bob, hors de toute certitude s’était contenté de répondre évasivement à toutes les questions. À présent, il allait peut-être savoir, et l’impatience le gagnait peu à peu.

À l’intérieur de la maisonnette, la lumière s’éteignit. L’homme allait-il tout simplement se coucher et dormir ? Bob inspecta sa montre poignet au cadran lumineux. Il était à peine neuf heures du soir. Vivant depuis près d’un mois aux côtés de l’homme, Bob avait appris à connaître ses habitudes, et il savait que, jamais, même après une journée chargée comme l’avait été celle-ci, il ne se couchait d’aussi bonne heure. Donc, logiquement, si l’homme avait éteint, c’est qu’il allait sortir.

Morane ne se trompait guère. La porte s’ouvrit doucement et une silhouette pâle se glissa au-dehors. Bob vit la tache claire du visage se tourner dans tous les sens, comme si l’homme voulait s’assurer de n’être pas épié. Rassuré sans doute, il se mit en marche vers le parc aux véhicules. Morane, silencieux comme une ombre – il s’était chaussé, pour la circonstance, de chaussures légères à semelles de crêpe – s’attacha à ses pas, se sentant bien décidé à le suivre jusqu’au septième cercle de l’enfer s’il le fallait.

L’homme, ayant atteint le parc aux véhicules, grimpa dans une de ces camionnettes de modèle militaire nommées « pick-up » par les coloniaux. Le moteur vrombit, mais Morane s’était déjà agrippé à l’arrière de la voiture. Celle-ci démarra et traversa à petite allure toute l’étendue des chantiers. Devant le portail, elle s’arrêta, et Bob entendit l’homme parlementer avec le gardien.

« Si, au passage, il me voit collé ici derrière, songea Morane, il donnera aussitôt l’alarme, sans me reconnaître et ma petite enquête sera ratée ». Lentement, s’aidant seulement des bras, il entreprit de se hisser sur le toit du « pick-up ». Ses doigts avaient peu de prise sur le rebord lisse de la carrosserie, et il eut un mal de chien à opérer son rétablissement. Finalement, il y parvint, se laissa basculer en avant et se mit à ramper jusqu’à ce qu’il fût complètement étendu au sommet de la voiture. Celle-ci bondit soudain, franchit le portail et, s’engageant sur la piste, fila en direction de Bomba.

Jamais trajet ne parut plus pénible à Morane. Allongé à plat ventre sur le toit de cette voiture secouée par les cahots, il courait à chaque instant le risque de se voir précipiter sur le sol. Les bras en croix, les mains nouées aux rebords du toit, il tentait de penser à autre chose. La joue collée à la carrosserie, il fouillait les ténèbres de ses regards, en direction des vallées. Les barrages résisteraient-ils ? Il se le demandait à nouveau avec angoisse. Au sommet des falaises, des gardiens veillaient. Munis de postes émetteurs d’ondes courtes, du type walkie-talkie, ils pouvaient appeler Packart à chaque instant et lui communiquer les progrès réalisés par la montée des laves.

Le « pick-up » atteignit la banlieue de Bomba. La route devint meilleure et le calvaire de Morane cessa. S’il fallait se baser sur l’itinéraire suivi, le conducteur voulait gagner un quartier des bords du lac où quelques années auparavant, de riches coloniaux fervents de yachting avaient fait bâtir d’imposantes villas.

Ce fut devant une de ces villas que la voiture se rangea. L’homme sauta à terre, gagna la porte et, après avoir parlementé pendant quelques instants avec un invisible cerbère, disparut à l’intérieur de la maison.

« L’affaire me semble prendre tournure, songea Bob. Notre ami fait une petite promenade nocturne et en profite pour venir visiter un gros bonnet de la région. Un gros bonnet qui, malgré le danger n’a pas quitté les bords du lac. Pourquoi ? Parce que quelque chose le force à y demeurer, et ce quelque chose n’est à coup sûr pas de la simple curiosité… »

Sans bruit, Morane se laissa glisser sur le sol et entreprit de faire le tour de la villa. Sur sa face sud, du côté du lac, une fenêtre était ouverte, et un flot de lumière coulait sur les pelouses. Bob, se collant à la muraille, risqua un coup d’œil à l’intérieur de la pièce.

Deux hommes s’y tenaient et discutaient avec animation. L’un d’eux était André Bernier. L’autre, un individu mince, au visage bronzé et à la moustache fine, semblait inconnu à Morane. Pourtant, quand il parla, il le reconnut aussitôt.

— Mais, monsieur Bernier, disait-il, je n’ai jamais, jusqu’à ce jour, mis en doute votre honnêteté à mon égard…

Cette voix douce, délicatement nuancée dans ses moindres intonations, Bob l’avait entendue à Paris, dans son appartement du Quai Voltaire, lorsque, après sa première visite à Lamertin, il avait encaissé la plus fameuse raclée de son existence.

« L’homme à la voix de miel ! songea Morane. Je suis venu ici en partie dans l’espoir de le retrouver, et le voilà devant moi sans que je puisse lui taper sur l’épaule pour lui dire : « J’ai une petite dette envers vous l’ami, et je voudrais m’en acquitter. » Mais remettons nos règlements de comptes à plus tard et écoutons cette intéressante conversation. Elle va sans doute m’aider à comprendre bien des choses… »

De l’autre côté de la fenêtre, l’entretien s’animait.

— Il n’est pas question ici de mon honnêteté, mais de la vôtre, monsieur Sang, disait André Bernier.

« Sang ! Ce nom disait quelque chose à Bob. Oui, c’était cela… Bruno Sang, le chef du service comptable de la C.M.C.A. L’autre jour, il n’avait pas paru à la conférence. Il revenait d’Europe et le changement de climat l’avait rendu malade. Une maladie de circonstance sans aucun doute… »

— J’en ai assez d’être le complice de vos crimes, continuait Bernier. L’autre jour, vous m’aviez affirmé que la bombe que je devais placer à bord du « Mercédès » était juste assez puissante pour détruire la pompe. Au lieu de cela, elle a coulé le bateau et coûté la vie à deux hommes…

Un sourire narquois était apparu sur les lèvres fines de Bruno Sang.

— Si vous croyiez réellement que cette bombe n’était guère puissante, pourquoi vous êtes-vous jeté à l’eau avant qu’elle n’explose ?

— J’étais trop près et je craignais d’être blessé…

Le chimiste s’arrêta de parler puis, après un moment, il dit encore :

— D’ailleurs, qu’importe le passé !… Aujourd’hui, j’ai décidé de vous quitter. Ce matin, vous avez tenté d’empêcher le barrage d’une des trois vallées par lesquelles s’écoulent les laves. Vous saviez que, si ces laves parviennent jusqu’au lac, cela peut coûter la vie à des milliers d’êtres humains et faire de Bomba un nouveau Pompéi…

— Quand je me suis assigné un but, monsieur Bernier, je l’atteins par tous les moyens…

— Oui, en pillant, en volant, en tuant… Les gens qui vous emploient désapprouvent eux-mêmes vos méthodes, mais comme elles sont efficaces et qu’ils convoitent les gisements d’uranium du Centre Afrique, ils ferment les yeux et laissent faire… Pourtant, si vous êtes pris, ils vous désavoueront, vous le savez bien. Ils vous laisseront tomber…

L’homme à la voix de miel secoua la tête.

— Nous n’en sommes pas encore là, monsieur Bernier…

— L’hallali ne tardera pas à sonner, soyez-en sûr. Morane non plus n’est pas homme à abandonner. Il a réussi jusqu’à présent à vous tenir en échec et sans doute finira-t-il par vous démasquer. Alors, vous serez dans de bien vilains draps…

Le visage de Sang se durcit soudain.

— Tout cela est votre faute, dit-il. Vous m’entendez, de votre faute… Vous avez eu cent fois l’occasion de tuer ce Morane, et vous ne l’avez pas fait…

Une expression de profond mépris apparut sur le visage de Bernier.

— Tuer, tuer !… Vous n’avez que ce mot-là en bouche. Mais maintenant c’est fini. Je vous lâche. J’en ai assez d’être le complice d’un assassin…

L’expression de Bruno Sang devint soudain menaçante.

— Non, vous ne me lâcherez pas, monsieur Bernier, pas comme ça…

Le chimiste haussa les épaules et, tournant les talons, marcha vers la porte.

— Revenez, monsieur Bernier ! commanda l’homme à la voix de miel.

Avec une rapidité étonnante, il avait plongé la main dans la poche intérieure de sa veste et en avait tiré un petit pistolet automatique. D’un bond, Morane sauta dans la pièce, mais trop tard, Sang avait fait feu.

Bernier tenta de s’agripper à la poignée de la porte. Les forces lui manquèrent, et il tomba face contre terre.

Au bruit que Morane avait fait en retombant sur le plancher, l’homme à la voix de miel s’était retourné, braquant à nouveau son arme. Mais, déjà, Bob se jetait sur lui et lui enserrait le poignet de ses doigts de fer, tentant de lui faire lâcher l’automatique.

Malgré son apparence fragile, Bruno Sang possédait une redoutable vigueur nerveuse et se battait en outre avec l’énergie du désespoir. Tout en luttant, accrochés l’un à l’autre, les deux antagonistes étaient parvenus à proximité de la fenêtre, à laquelle Sang tournait à présent le dos. Lentement, la force et le poids de Morane commençaient à lui assurer l’avantage. Le poignet tordu et à demi-brisé, le forban lâcha son arme. Il voulut frapper Morane du genou, mais un puissant crochet du droit le cueillit à la pointe du menton et le fit basculer par-dessus la fenêtre.

À ce moment, la porte s’ouvrit avec fracas et un homme fit irruption dans la pièce. Il était énorme et montrait un visage de bois faisant penser à celui de quelque robot. Son front fuyant, couronné par une maigre touffe de cheveux couleur paille, était celui d’un microcéphale. Il portait une veste rayée de laquais aux épaules étriquées et dont les manches, trop courtes de dix centimètres, laissaient à nu des poignets énormes et de monstrueuses mains rouges, pareilles à de gros crabes. Bien que le monstre ne possédât pas une carrure de lutteur, on lui devinait une force redoutable. Non pas une force d’homme, mais une force d’automate inintelligent et brutal.

« Eh, eh, voilà le gorille privé de monsieur Bruno Sang ! » songea Morane. En même temps, il comprit n’avoir aucune chance dans un combat corps à corps avec le microcéphale. Comme ce dernier marchait dans sa direction, Bob se baissa, ramassa le pistolet de Sang et le braqua vers le nouveau venu. En même temps, pour ne pas courir le risque d’être assailli par derrière, il s’éloignait de la fenêtre.

— Restez où vous êtes, dit-il à l’adresse du microcéphale.

Mais celui-ci paraissait ne pas entendre et continuait à avancer. « Ou il va me saisir, et alors je ne donnerais pas cher de mes os, ou je vais devoir le tuer », songea Morane.

— Restez où vous êtes, dit-il encore.

Comme l’autre semblait ne pas avoir entendu, il fit feu en signe d’avertissement. La balle, mal ajustée à dessein, alla fracasser un vase précieux posé sur un guéridon.

Le microcéphale s’était arrêté soudain. Une sorte de terreur abjecte se peignit sur ses traits tandis que, lentement, il élevait les mains au-dessus de la tête.

— Tournez-vous, fit Morane.

Lentement, l’homme obéit. Saisissant alors une massue nègre traînant sur une table basse, Morane s’approcha du colosse et le frappa derrière la nuque. Assommé, le microcéphale vacilla et s’abattit d’une pièce.

— Désolé, mon vieux, murmura Bob, mais je n’avais guère le choix.

Un foulard de soie traînait dans un fauteuil. Morane le déchira en deux bandes égales et lia solidement les mains et les pieds du colosse. Alors seulement, il songea à Bruno Sang. Pourtant, quand il se pencha par la fenêtre, il ne le découvrit nulle part. « Sans doute a-t-il trouvé la lutte trop inégale et aura-t-il préféré mettre une certaine distance entre nous, songea Morane. Tant pis ! Nos routes se croiseront bien tôt ou tard… »

Pour éviter toute surprise, il ferma la fenêtre et tira les rideaux. Ensuite, il s’accroupit près du corps d’André Bernier. Le chimiste était étendu sur le ventre, et une tache de sang marquait sa veste à hauteur de l’omoplate gauche.

Usant de mille précautions, Morane retourna l’infortuné sur le dos. La balle l’avait frappé dans la région du cœur, et il avait perdu connaissance.

Pourtant, il respirait encore. Seule, une intervention rapide pourrait peut-être encore le sauver Morane atteignit le téléphone posé sur un guéridon et sonna la Centrale.

— Qui demandez-vous ?

— Passez-moi l’hôpital, fit Bob. Il y a urgence…

— Je regrette, monsieur, dit la voix anonyme, mais l’hôpital a été évacué, personnel et malades, sur les hauteurs à l’ouest du lac.

Bob se mordit les lèvres. Rapidement, il réfléchit. Gagner l’ouest du lac prendrait trop de temps, et Bernier serait peut-être mort avant de pouvoir recevoir les premiers soins. Mieux valait encore rejoindre les établissements de la C.M.C.A. Peut-être le médecin attaché à la Compagnie réussirait-il à sauver Bernier. Mais Morane songea alors qu’il ne pouvait transporter le blessé dans le « pick-up ». Les cahots seraient trop violents et provoqueraient à coup sûr une hémorragie mortelle. Ce qu’il fallait, c’était une voiture bien suspendue. Une voiture de marque américaine, par exemple…

— Y a-t-il encore quelqu’un à la Résidence ? demanda-t-il à la standardiste.

— Oui, monsieur l’Administrateur, tenant à donner l’exemple du calme, a décidé de ne quitter la ville qu’à la dernière minute…

Quelques secondes plus tard, Morane obtenait sa communication avec la Résidence. Quelqu’un décrocha et une voix, celle de Claire Holleman, demanda :

— Qui parle ?

— Robert Morane, dit Bob. J’avais peur que vous n’ayez quitté la ville…

— J’ai refusé d’abandonner mon oncle. Quand il partira je partirai… Mais que puis-je pour vous, monsieur Morane ?

— J’ai besoin d’une voiture rapide et bien suspendue, pour transporter un blessé. Avez-vous cela ?

À l’autre bout du fil, il y eut un silence. Puis Claire Holleman dit :

— Il y a la Cadillac de mon oncle. Cela fera-t-il l’affaire ?…

— Et comment ! s’écria Bob. Pouvez-vous me la faire amener ? Je suis à la villa de Bruno Sang, en bordure du lac…

— J’y serai dans dix minutes. Un boy me montrera le chemin…

— Vous ?… Mais…

— Il n’y a pas de mais… coupa Claire d’une voix enfantine. Depuis longtemps, j’ai envie de vivre une palpitante aventure et maintenant que cette chance s’offre à moi… Il n’y a pas si longtemps d’ailleurs, monsieur Morane, vous m’avez sauvé la vie, et il est juste que je paie un peu de ma personne pour acquitter ma dette…

Quand il eut raccroché, Bob se tourna vers Bernier et le considéra pendant quelques instants. Cet homme avait failli le tuer lors de l’explosion du « Mercédès », et maintenant il se débattait pour lui sauver la vie. Peut-être pouvait-on appeler cela de la faiblesse ou, plus naturellement, de l’humanité…

Morane haussa les épaules et, se penchant sur le blessé, il entreprit de lui confectionner un pansement provisoire.

 

*
* *

 

Dans la baraque de Jan Packart, momentanément transformée en infirmerie, tous les assistants avaient les yeux tournés vers la couchette, sur laquelle André Bernier était allongé. Au bout d’un moment, le docteur, qui était courbé sur le blessé, se redressa, le visage grave :

— Il n’y a rien à faire, dit-il. La balle a touché le cœur, et rien au monde ne pourrait le sauver. C’est même un vrai miracle qu’il soit encore en vie…

Les yeux de Claire Holleman cherchèrent ceux de Morane, mais elle fut surprise de n’y trouver ni colère, ni tristesse.

— Comment avez-vous su que c’était lui ? demanda Packart.

Bob parut être arraché à un rêve intérieur.

— Souvenez-vous, dit-il, lors de la catastrophe du « Mercédès », Bernier nageait loin derrière nous et, en outre, ses vêtements étaient intacts, alors que, tous, nous étions en loques. Cela signifiait tout simplement que Bernier s’était jeté à la nage un peu avant l’explosion. Comment aurait-il pu la prévoir s’il ne l’avait provoquée lui-même ?… Évidemment, cela ne m’a pas frappé immédiatement. Ce matin seulement, quand les mines sautaient dans les vallées, ces détails me sont apparus clairement. J’ai alors fouillé la cabane de Bernier, et j’y ai trouvé des échantillons de minerais radioactifs et l’adresse à Paris de l’Uranium Europe-Afrique. Ce soir, j’ai suivi Bernier, et j’ai eu la chance de le surprendre alors qu’il allait rejoindre son complice. Bernier semblait être saisi de remords et avait décidé de rompre son alliance avec Bruno Sang. Alors, ce dernier l’a abattu…

Une expression de vague pitié apparut sur les traits de Packart, mais cependant il ne formula aucun regret.

— Allons, dit-il au bout d’un moment, sauf pour Bernier, tout semble se terminer au mieux. L’usine est achevée, les laves contenues et Bruno Sang, l’homme à tout faire de l’Uranium Europe-Afrique, a pris la fuite. Nous l’emportons donc sur toute la ligne, et cela grâce à vous, mon vieux Bob… Lamertin vous en vouera une reconnaissance infinie.

— Ne crions pas victoire trop vite, fit Morane. Bruno Sang n’a peut-être pas dit son dernier mot. Il n’est pas impossible non plus qu’à la dernière minute, les barrages ne cèdent et n’ouvrent aux laves le chemin du lac. Notre griffe de feu n’a peut-être pas encore fini de nous en faire voir…

Il baissa la tête et tenta d’apercevoir, par la fenêtre ouverte, le sommet fulgurant du Kalima.

— Si cette éruption pouvait seulement prendre fin, dit-il. Cela nous enlèverait un fameux poids de la poitrine. Qu’en pensez-vous, Kreitz ?

Le volcanologue semblait en proie au doute.

— Les grondements deviennent de moins en moins perceptibles, et la pluie de cendres a complètement cessé. Il est possible que la lave se tarisse bientôt. Mais pour ce qui est de dire quand…

À ce moment, Bernier ouvrit les yeux, regarda longuement autour de lui et dit, dans un souffle :

— Commandant Morane… Venez… plus près. Je voudrais vous… parler…

Bob s’avança et se pencha sur le mourant.

— Sang ? demanda celui-ci. Vous l’avez ?…

De la tête, Morane eut un signe de dénégation. Un léger voile de regret passa dans les yeux à demi éteints du chimiste.

— Méfiez-vous, dit-il encore. Sang… est prêt à tout. Sur les hauteurs, il a fait construire… une villa avec piste d’envol. C’est lui qui vous a attaqué sur… la route d’Entebbe. Il possède aussi un hélicoptère…

Le moribond se tut. Visiblement, il rassemblait ses dernières forces.

— Reposez-vous, dit Morane. Tout à l’heure, quand vous aurez repris des forces, vous pourrez parler encore…

Bernier secoua la tête.

— Il n’y aura pas de tout à l’heure… Je vais mourir mais avant, je voudrais encore vous dire… Si la lave atteint le lac… il y a moyen d’empêcher la catastrophe… Injecter de l’ozone à l’endroit où la coulée s’enfonce sous… les eaux. Sous l’action de l’ozone, l’H2S[7] se change en eau et en SO2[8], et le soufre précipite. L’oxygène sulfuré n’est pas toxique…

— Êtes-vous sûr de tout cela ? interrogea Bob.

Un pâle sourire apparut sur les traits déjà déformés du mourant.

— J’ai peut-être agi… comme un scélérat. Mais je suis… aussi… chimiste… ne l’oubliez… pas…

Sa tête roula soudain sur le côté, ses paupières se fermèrent, et il ne bougea plus. Le docteur s’approcha et se pencha sur le corps inanimé. Au bout de quelques instants il se redressa et secoua la tête.

— Personne ici-bas ne peut plus rien pour André Bernier, fit-il simplement.

Un grand silence pesa sur l’assistance. Un silence qui fut tout à coup troublé par le grésillement du poste récepteur de radio posé sur la table. Packart saisit l’écouteur et le pressa contre son oreille. Quand il le redéposa son visage était grave.

— Mes amis, dit-il, un veilleur m’annonce que les laves ont rompu le premier barrage. En ce moment, elles descendent vers le lac…

La Griffe de Feu
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